Fadia Haddad est née au Liban, et travaille à Paris. Je crois avoir raté bien peu de ses expositions, depuis six ou sept ans, et je m'informe régulièrement de ce qu'elle fait, en visitant son atelier. Nous avons même écrit un livre de bibliophilie ensemble, qui sortira peut-être un jour. Bref, c'est une artiste dont le travail me passionne. Et je suis bien incapable d'expliquer pourquoi.

Procédons par ordre: d'abord, elle fait de la peinture. La chose, aujourd'hui encore, n'a rien d'exceptionnel. La vidéo, la photo, les installations, la sculpture peuvent m'intéresser tout autant, et me semblent même plus pertinentes pour rendre compte des états du monde d'aujourd'hui. Le genre n'est cependant ni mort, ni obsolète, et resurgit régulièrement dans le grand ballet des avant-gardes, au gré des modes, des besoins, des nécessités.
Ses toiles sont généralement marouflées d'un papier, et tendues sur des châssis de format standard, qui sont également, le plus souvent, présentées dans le sens vertical. Des trois proportions que propose le commerce, respectivement dites "marine", "paysage" et "figure", Fadia Haddad affectionne la dernière. Cela tombe bien, elle peint des oeuvres qui sont figuratives. Là non plus, rien d'outrageant : ce n'est évidemment pas révolutionnaire, mais pas non plus vieillot : Jeff Koons, ou Elisabeth Peyton, pour ne parler que de deux vedettes récentes de l'avant-garde new-yorkaise, ne procèdent pas autrement. Mais je ne crois pas que le vedettariat, ni l'avant-garde, soit le problème de Fadia Haddad. Pratiquement depuis que je la connais, elle peint des oiseaux. Pas comme Audubon : ce n'est pas une artiste animalière. Non, plutôt comme Braque, ou comme Miró. Attention: elle n'est ni une cubiste attardée, ni une descendante du surréalisme. Simplement, ses formes les plus econnaissables représentent des oiseaux. II y en a de toutes sortes, des ronds, des pointus, des lisses, des ébouriffés, des en vol, d'autres posés. Ils sont solitaires, ou vont en couple, plus rarement en nuées.

C'est sans doute de là qu'est née ma fascination. Non que j'affectionne particulièrement les volatiles : les pigeons par exemple, choisissent toujours ma voiture, quand ce n'est mon chapeau, quand j'ai la chance d'en porter un, pour se laisser aller, ou s'exprimer, comme on voudra. Mais je n'ai pas non plus de goût particulier pour les rayures, ou les haricots. Sauf quand ils sont peints par Buren, ou par Viallat. On pourrait ainsi multiplier les exemples d'artistes qui se sont astreints, consciemment ou non, à utiliser un vocabulaire restreint, pour en exprimer le potentiel au maximum. Ce qui me ramène à Miró, qui a peint un nombre impressionnant de tableaux intitulés Femme, Oiseau, Étoile. Fadia Haddad a longtemps donné des titres poétisant à ses oeuvres. Écho ancestral par exemple, qui représente un oiseau s'enroulant sur lui-même, dans une position presque foetale. II y a aussi Partition majeure, où l'animal est résumé par la courbe magnifique d'un cou, prolongé d'un bec tendu vers d'autres oiseaux, plus petits, disposés comme les notes de musique sur une portée. Mais depuis 1999, tous ses tableaux se nomment Songeurs de synonymes.
Comme si elle avait pris conscience, comme Miró avant elle, de la vanité du titre. Songeurs de synonymes, cela peut vouloir dire : "Je cherche une équivalence à ma peinture, dans les mots, et je ne la trouve pas".
Comme on peut le constater, moi non plus.

Car l'univers de Fadia Haddad, comme celui de Miró, leurs oiseaux, ne sont pas de ceux qui se laissent mettre en cage par des mots. Tout au plus peut on faire partager aux pauvres humains nos frères, ceux qui n'ont ni ailes ni pinceaux, un peu du plaisir et de l'émotion ressentis face à la richesse de ces volières-là. Chacun y reconnaîtra, qui son aigrette, qui son cygne, qui son hirondelle. D'aucuns seront séduits, comme je le fus, par un sens aventureux de la composition, par un refus obstiné des couleurs flatteuses, par une touche et une matière d'une richesse et d'une simplicité incroyables, bref, par un vrai tempérament de peintre et, lâchons le terme, un vrai talent. Mais rien de tout cela ne rendra compte de la complexité des rapports qui s'élaborent dans les toiles de Fadia Haddad entre la peinture et son sujet apparent, entre les soies de la brosse et les plumes des oiseaux.

Harry Bellet
avril 2001

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