Fadia Haddad, Les paysages de l’enfance

« Le Liban appartient à mon passé lointain que ma mémoire a presque complètement effacé. Je me suis construite sans lui et lui sans moi. J’ai besoin de l’exprimer seulement à travers la force des éléments premiers avant que l’homme ne soit présent. Peut-être pour retrouver son origine avec les profondeurs et les épaississements de ses horizons. » Fadia Haddad

Le mont Liban se dresse à l’horizon. Depuis la terrasse de la maison familiale, Fadia l’observe des heures durant: « Quelle richesse, la métamorphose de cette montagne de l’aube jusqu’au couchant ! »

Après avoir peint des masques et des oiseaux, elle revient aux sources : « L’amour de la terre. Mes paysages, je les nomme Landscape. Je dirai même Land –escape parce que je rentre et je ressors de ce pays d’une manière très fugitive, à travers un bout de terre et de mer. Le reste m’échappe. »

Comme hantés par les vents, balayés par l’écume, les maisons, les sérails, les gens, les cèdres, les couleurs et les armes disparaissent de son propos. Comme tous ceux qui ont connu la guerre, Fadia subit un étrange oubli.
La mer et la montagne confrontent leurs masses de géants. Pulvérisée et engloutie dans les éléments de la nature, son enfance demeure sous la forme d’une indicible émotion. Geste, souffle, présence et absence, elle se perd dans l’origine universelle, le commencement géologique du monde issu de la guerre des titans. Mémoire ineffaçable de la mer et de la montagne, l’enfance est œuvre, énergie et élévation.

Fadia enjambe la toile étendue par terre. Son geste ample, dynamique, fluide et rythmé laisse sa trace sur sa surface blanche et amorphe. Elle lui donne son corps, elle lui imprime son âme : « Quand je peins le vent, je suis le vent, quand je peins la vague, je suis la vague. Je suis la pluie, rien d’autre ne vient empiéter sur mon geste et sur mon souffle, sur ce mouvement qui va vers l’infini. »

La tache éclate, la couleur stimule, le mouvement affirme des oiseaux et des masques. La justesse de la composition atteint la plénitude, un sentiment de légèreté, et de bonheur nous envahit.
Ses paysages tournent le dos à sa palette habituelle. Ils soutiennent leur majestueuse rivalité dans l’infinité de nuances qui séparent et rapprochent le noir et le blanc. L’amnésie appelle la mélancolie.
Dans la nature la brume, le sirocco, les nuages filtrent les rayons du soleil faisant disparaître les couleurs et les choses. Un mirage atmosphérique enveloppe ses paysages qui d’une toile à l’autre modifie leurs contours. À peine la montagne laisse voir ses cimes victorieuses que la mer grise se met en colère à nouveau. Pour Homère, la mer n’a jamais été bleue mais rouge. « Le noir et le blanc représentent pour moi un océan de couleurs.» Fadia Haddad décline leurs ombres et leurs lumières, comme Claude Monet la cathédrale de Rouen.

La gestualité qu’elle a développée au cours des années est issue d’un entraînement égale à ceux qui pratiquent les arts martiaux. Une discipline qui la hausse à une maîtrise digne d’un maître calligraphe. Avec ses paysages, elle réalise le temps retrouvé, son cher Liban, esprit, geste, souffle, la grande peinture.

Ileana Cornea            
Paris, novembre 2014            

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